LE LABORATOIRE DE RECHERCHE EN SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION DU CELSA
UR 1498
Posté par Pierre-Carl Langlais, mis à jour le 16 novembre 2015
Communication sans actes

La théorie critique et la propriété intellectuelle

L'individualisation par la loi
Culture Critique, 16 mai 2014, Sorbonne

Nous tentons de reconstituer une hypothèse d'Adorno sur le statut légal de l'œuvre musicale : la propriété intellectuelle autorise la mise en place d'un simulacre d'authenticité. Elle stimule une individualité inexistante par un artifice légal. L'affaiblissement récent de la propriété intellectuelle semble ainsi favoriser un renforcement de la signature sonore par des éléments extra-musicaux.

Cette communication vise à restituer une théorie adornienne du statut légal de l’œuvre musicale. Bien que rares et dispersées, les quelques mentions juridiques de l’œuvre d’Adorno s’inscrivent dans un cadre remarquablement cohérent. Elles découlent, pour l’essentiel, de la thèse suivante : la propriété intellectuelle autorise la mise en place d’un simulacre d’authenticité. Le cadre légal de l’œuvre musicale mis en œuvre à la fin du XVIIIe siècle et renforcé tout au long du XXe siècle contribue à hypostasier l’individualité de la création.

Notre réflexion se déploie en trois temps.

Nous partons initialement d’un retour à Adorno. Dans la « Critique sociale de la radio » il met en évidence la « standardisation de l’interprétation orchestrale, en dépit de la marque déposée (trademark) des formations ». Dès l’entre-deux-guerre, les formations américaines avaient pris pour habitude de transformer leur nom en marque déposée. Pour Adorno cette usage ne vise pas seulement à éviter les contrefaçons. Il s’agit de simuler une individualité inexistante par un artifice légal. Cet artifice permet au hit d’exister : conçu pour être aussi circulant que possible le hit ne parviendrait pas à faire croire à sa propre originalité sans le renforcement psychologique de la propriété intellectuelle.

Nous procédons ensuite à une recontextualisation historique de l’analyse adornienne. La propriété intellectuelle musicale est une construction tardive et relativement fragile. Elle s’appuie sur une jurisprudence vague et témoigne avant tout d’un consensus social historiquement situé entre certains acteurs économiques. Tout au long du XXe siècle, elle est l’objet d’une judiciarisation croissante marquée par la consécration des droits voisins.

Nous amorçons finalement une réflexion sur une nouvelle signature sonore. Le renoncement graduel aux mécanismes de protection tels que les DRMs et la quête d’une circulation sans limitation mettent à mal la prétention à l’originalité du hit. À défaut de disparaître complètement, la signature sonore semble devoir être renforcée par des éléments extra-musicaux et par une construction esthétique croisant plusieurs supports.

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