Pour une iconographie politique des "dominé.e.s" 2ème édition
Objets, méthodes, enjeux
Séminaire 2016-2017
Pour une iconographie politique des « dominé(e)s »
Objets, méthodes, enjeux
Séminaire organisé par le LabToP/CRESPPA (CNRS-UMR 7217) avec le soutien du Labex Arts-H2H, coordonné par Maxime Boidy et Laurent Jeanpierre
Contact : maxime.boidy@live.fr
Ce séminaire bénéficie d’une aide de l’ANR au titre du programme Investissements d’avenir (ANR-10-LABX-80-01) et d’une aide de l’Université Paris 8 - Saint-Denis dans le cadre de ses programmes d’aide à la recherche.
Argumentaire
Longtemps à la marge des sciences sociales et politiques, les savoirs visuels intéressent à nouveau ces disciplines au sein du monde francophone. Ils bénéficient aussi de l’essor de paradigmes interdisciplinaires dans différentes aires intellectuelles, qui placent de plus en plus souvent les phénomènes politiques au centre de leurs investigations. Les études de culture visuelle (Visual Culture Studies), apparues dans le champ universitaire anglo-américain durant les années 1980 en marge de la discipline de l’histoire de l’art, prolongent par exemple l’ambition des études culturelles, féministes et postcoloniales en se focalisant sur la visibilité des phénomènes de classe, de genre et de race (Evans, Hall, 1999 ; Mirzoeff, 2009). L’iconographie politique (Politische Ikonographie) s’est développée comme un sous-champ disciplinaire de l’histoire de l’art germanophone en se consacrant aux motifs visuels comme vocabulaire du politique (Fleckner et al., 2011 ; Joschke, 2012). Des recherches issues d’autres aires intellectuelles portent une attention particulière à la mise en images des idées politiques (Ginzburg, 2013 ; Agamben, 2015). En France, les travaux fondateurs de Louis Marin sur l’iconographie du pouvoir monarchique (Marin, 1981) trouvent des échos ou des prolongements en sociologie, en histoire de l’art, en anthropologie ou en sciences de l’information et de la communication, autour d’objets tels que la visibilité médiatique de l’émeute (Bertho, 2009), les mises en images des soulèvements (Didi-Huberman, 2016), l’iconographie des formes de contestation (Crettiez, Piazza, 2013) ou les motifs symboliques de l’action politique (Vergnon, 2005). Cet ensemble de travaux appelle deux constats, qui tracent les lignes directrices de ce séminaire.
D’une part, sur cette base, il est désormais possible de circonscrire un champ de recherches spécifiquement dévolu à l’« étude visuelle du politique ». L’appréhension d’un tel champ nécessite toutefois de mener une réflexion interdisciplinaire approfondie sur ses fondements épistémologiques et méthodologiques, afin d’identifier les articulations nécessaires entre les positions intellectuelles les plus attentives aux exigences de scientificité (constitution de corpus empiriques, administration de la preuve) et les perspectives plus enclines à la théorisation et/ou à la politisation des savoirs visuels.
D’autre part, les travaux existants se sont fréquemment penchés sur l’iconographie du pouvoir dominant et de ses institutions, à l’instar de la représentation classique de l’État qui orne le frontispice du Léviathan (1651) du philosophe anglais Thomas Hobbes (Bredekamp, 2003). Il s’agit a contrario d’interroger les modalités d’enquête et de constitution de corpus non du point de vue des dominants, mais de celui des « dominé(e)s », et ce à trois niveaux au moins :
-(1) l’identification de corpus visuels et politiques susceptibles de nourrir la réflexion interdisciplinaire sur l’iconographie des « dominé(e)s », au-delà ou à côté des nombreux travaux portant sur les révoltes, les révolutions et les mouvements d’émancipation les plus connus, en particulier le mouvement ouvrier. Il s’agirait de dégager une liste de lieux d’archives (Institut Warburg, Archives nationales, etc.), de thématiques, ainsi qu’une bibliographie de travail, notamment parmi les axes de recherche et les travaux des participant(e)s du séminaire.
-(2) une réflexion sur le point de vue des « dominé(e)s » et la production d’images par les catégories reléguées du monde social. On pourra approfondir cet axe de recherche en s’intéressant en particulier aux représentations visuelles des critiques de la représentation politique. Cet axe vise à interroger les relations qu’entretiennent ces deux formes de représentation dans l’iconographie des « dominé(e)s », à l’instar de la visibilité de la dissimulation comme critique de la représentation incarnée par la tactique du « black bloc » (Boidy, 2016).
(3) une réflexion sur les formes de domination liées aux savoirs visuels. L’âge moderne a été caractérisé de longue date comme une période historique durant laquelle le visible participe d’une rationalité de la domination, à la production de sujets « observateurs » (Crary, 2016). Il s’agit de réfléchir plus largement au rôle des savoirs visuels dans la production de la domination, dans la construction de catégories politiques appliquées aux « dominé(e)s » (telles que le populisme) et dans leurs mises en représentation.
Ce séminaire de travail est ouvert aux doctorants et aux étudiants de master intéressés.
Bibliographie :
Agamben Giorgio, 2015, La Guerre civile : pour une théorie politique de la stasis, Paris, Points.
Bertho Alain, 2009, Le Temps des émeutes, Montrouge, Bayard.
Boidy Maxime, 2016, « Le black bloc, terrain visuel du global. Éléments pour une iconologie politique de l’altermondialisme », Terrains/Théories, n°5. En ligne : https://teth.revues.org/834
Bredekamp Horst, 2003, Stratégies visuelles de Thomas Hobbes. Le Léviathan, archétype de l’État moderne, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme.
Crettiez Xavier et Piazza Pierre (dir.), 2013, « Iconographies rebelles », Cultures & Conflits, n°91/92.
Crary Jonathan, 2016, Techniques de l’observateur : vision et modernité au xixe siècle, Bellevaux, Éditions Dehors.
Didi-Huberman Georges (dir.), 2016, Soulèvements, Gallimard – Jeu de Paume.
Evans Jessica et Hall Stuart (dir.), 1999, Visual Culture : the Reader, Londres, Sage.
Fleckner Uwe, Warnke Martin et Ziegler Hendrik (dir.), 2011, Handbuch der Politischen Ikonographie, Munich, Beck (2 tomes).
Ginzburg Carlo, 2013, Peur, révérence, terreur : quatre essais d’iconographie politique, Dijon, Les Presses du réel.
Joschke Christian, 2012, « À quoi sert l’iconographie politique ? », Perspective, n°1, p. 187-192.
Marin Louis, 1981, Le Portrait du roi, Paris, Minuit.
Mirzoeff Nicholas, 2009, An Introduction to Visual Culture, Londres, Routledge.
Vergnon Gilles, 2005, « Le “poing levé”, du rite soldatique au rite de masse. Jalons pour l’histoire d’un rite politique», Le Mouvement Social, n°212/3, p. 77-91.