Savoir faire : pratiques ordinaires d'intellectuels aux travail

De nombreux travaux rendent compte de la manière dont les savants travaillent, lors des enquêtes, dans des laboratoires, des bureaux, des bibliothèques. Le développement de l'informatique et des médias informatisés a amplifié l'intérêt accordé aux mutations contemporaines des pratiques de lecture et d'écriture, des manières de ranger, classer, annoter, et de produire et transformer des objets culturels. Ces pratiques sont rarement reliés aux transformations des statuts et des conditions professionnelles elles-même : un très grand nombre de chercheurs travaillent dans une relative précarité, parfois en situation de mobilité assumée ou forcée. Certains exercent des métiers intellectuels, plus ou moins temporaires, liés au développement du travail par projet dans la recherche et la culture.  Ils instruisent des projets, enquêtent, rédigent des avant-projets, des programmes, quantité de documents hybrides, entre production normée par des contraintes administratives et production d'objets scientifiques et culturels. Les lieux de travail sont multiples, indécis. Les formes de stockage et d'oubli sont liées à des temporalités à la fois multiples et fracturées, mais aussi durables : même précaires, certains intellectuels gèrent eux-même les traces et les sources d'une carrière intellectuelle très longue.  Notre enquête porte sur des travailleurs intellectuels qui font face soit à une relative précarité, soit à des contraintes professionnelles (temporelles, spatiales, matérielles) à qui les amènent à élaborer dans l'urgence, ou à renoncer dans la souffrance, à des manières d'enquêter, de stocker, de lire, d'écrire et de communiquer avec leurs correspondants : nous rendons compte de certaines articulations entre matérialité et savoir qui sont structurées ou dérangées non seulement par des normes cognitives et culturelles, mais aussi par des manières discrètes d'assumer une précarité ou un inconfort sans nécessairement en faire état, aux frontières des lieux et temps de la recherche telle qu'on rêverait de la faire.