LE LABORATOIRE DE RECHERCHE EN SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION DU CELSA
UR 1498

La gestion des réseaux sociaux à "Nuit Debout"

Une note de terrain en forme de compte-rendu de commission.

Mardi 17 mai, un peu derrière l'AG principale de Nuit Debout se tenait une commission liée au «Media Center» et concernant la communication en ligne du mouvement. Apparaissaient des enjeux comme la légitimité d'une ligne éditoriale orientée par quelques-uns, les normes de l'autorité et sa distribution dans les réseaux sociaux, la reconnaissance des activités de «community management» et la division du travail qui l'accompagne, en somme la manière d'organiser la communication en fonction d'un certain idéal démocratique.


Sans être exhaustif, voilà quelques éléments qui ont retenu mon attention, rédigés avec tous les participes passés typiques du compte-rendu d'assemblée générale - c'est lié au fait qu'il était compliqué d'identifier chaque intervenant, mais ça dit aussi, bien sûr, que ce n'est pas qui dit quoi qui compte. Les formules entre guillemets sont celles qu'ont employées les différents intervenants. J'espère n'avoir rien déformé car les échanges au mégaphone n'était pas toujours très audibles.


Une ligne orientée, notamment dans le choix de ne pas communiquer

La discussion partait d'un reproche au groupe de personnes qui gère les réseaux sociaux du mouvement, notamment la page Facebook «Convergence des luttes» : ce groupe (passé d'une poignée de personnes à 25 personnes) définirait une ligne éditoriale trop orientée en omettant de relayer certains tracts «print», des éléments concernant les manifestations et les questions de violence policière, et en publiant des compte rendus de «shadows réunions» qui n'ont pas vocation à faire partie du mouvement et auraient attiré une mauvaise presse. Une intervenante a dit que rien n'avait été publié depuis plusieurs jours «pour ne pas jeter d'huile sur le feu». Une discussion a suivi sur les manières d'organiser une gestion de la communication en ligne en conformité avec les objectifs du mouvement dans son ensemble. Parmi les solutions évoquées, ont été suggérées et accueillies avec plus ou moins de succès, l'évolution du media center vers une forme de «secrétariat» (?), des décisions collégiales pour les publications, un système de tour de rôle dans l'administration de la page Facebook «Convergence des luttes», ou encore l'inclusion en tant qu' «éditeur» de membres de chaque commission.


Invention médiatique et arbitrage algorithmique


Un consensus se dessinait donc selon lequel malgré la volonté exprimée des membres du Media Center d'être au service «de tout ce qui se passe par la place», il y avait forcément une ligne éditoriale orientée qui se construisait. Quelqu'un a expliqué qu'il s'agissait en partie d'un problème «structurel» puisque les contraintes de Facebook et Twitter impliquait des auteurs restreints et/ou des codes d'accès uniques. Pour lui, une solution «structurelle» consistait donc à inventer d'autres médias en cohérence avec les idées du mouvement (comme le Wiki). Il a évoqué un dispositif de diffusion aléatoire (reposant probablement sur un algorithme) des captations Périscope comme représentant l'idéal d'un point de vue décentré vis à vis de la décision de quelques-uns. 


Pluralisme des médias


Suite à une prise de parole, quelqu'un a répondu ironiquement «merci monsieur le président!» : à la suite de cette blague, une partie de l'échange a porté sur l'idée que «media center» s'opposait à la présence de «leaders». Il a été dit qu'il était impossible d'empêcher l'émergence de contributeurs-leaders à partir du moment où il y avait des volontés d'agir en jeu, mais que le travail collectif sur les médias devait permettre de mettre les voix des leaders côte à côté de manière à produire de la pluralité. 


Division du travail


Un des responsables de la page Facebook «Convergence des luttes» s'est plaint qu'on veuille lui reprendre cette page après des semaines de travail de sa part, pas reconnues par ses camarades. Il a comparé sa situation à celle d'un ouvrier qu'on expulserait de son usine. Un intervenant est allé dans son sens : «on ne peut pas demander aux gens de travailler pour nous et en même temps vouloir contrôler tout ce qu'ils font».  


Savoirs experts et «propriété» des moyens de communication


Plusieurs responsables de la commission ont insisté sur le besoin de reconnaitre que certains «savent» : «sans parler d'experts» (sic) ils connaissent un usage «très avancé» de ces outils, qui a participé de l'efficacité du mouvement «en dehors des médias mainstream» et pour eux, si l'on veut étendre la gestion de ces moyens de communication, alors il est nécessaire et urgent de bien former les volontaires. 


PS : 

Bien sûr la forme même de la commission était intéressante : certains gestes conventionnels y apparaissent plus qu'en AG générale. Les échanges prenaient parfois une dimension polémique et personnelle, et les interlocuteurs opposés étaient tentés de partir sur une discussion : les règles du «tour de parole» étaient aussitôt rappelées avec passion par tout le monde. 

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