LE LABORATOIRE DE RECHERCHE EN SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION DU CELSA
UR 1498
Journée d'études

GIS Journalisme 2015

Le journalisme et ses outils. Technicité de la production d’informations
77 rue de Villiers
92200 92200

 

Mercredi après-midi, 07/10/2015

Session 1 : Défense et illustration d’un journalisme équipé. Les imaginaires dans le temps.

Cette première session du colloque GIS journalisme 2015 ouvre sur les questions autour des temporalités, à la fois dans leur versant technique et du côté des imaginaires. Les communications montrent en quoi les outils sont liés à des périodes, soient modifient l’approche des temporalités propres du journalisme.

 

Le rôle de la télégraphie dans la couverture de l’actualité étrangère du XIXe siècle, Lisa Bolz

Lisa Bolz s’intéresse à la représentation de la télégraphie dans la presse française et allemande de la seconde moitié du XIXe siècle. Sur la base d’un corpus de six journaux quotidiens (trois français et trois allemands) publiés entre 1845 et 1870, elle observe comment l’intégration du télégraphe modifie le discours d’information et, plus précisément, comment la technique télégraphique entraîne l’apparition de nouvelles formes éditoriales, associées à des valeurs journalistiques. Selon Lisa Bolz, la télégraphie, devenant sujet de et à récit, donne à voir le travail journalistique fourni et concourt ainsi à sa mise en valeur. Ces procédés participant d’une argumentation en faveur du travail de l’information se retrouvent à la fois dans les titres français et allemands.

 

Le chroniqueur et le robot : émergence et métamorphose d’une écriture automatique de la bourse, Pierre-Carl Langlais

Dans cette communication, Pierre-Carl Langlais rappelle le développement parallèle du réseau des bourses au XIXe et des journaux dont les rédactions vont se rapprocher, physiquement, de la Bourse parisienne. Il se demande pourquoi la chronique boursière est plus poreuse à l’automatisation, parlant de « dépendance précoce » de ce genre journalistique à la technique. Pour ce faire, il étudie la « poétique de la donnée » et l’élaboration d’un récit de bourse en se penchant sur les formules récurrentes, les changements éditoriaux, évoquant par exemple le lien entre l’apparition de la loi sur la signature et le « déformatage » du discours boursier et la transformation du tableau en récit.

 

Fragments d’une histoire des ciseaux et du pot de colle en journalisme, Juliette De Maeyer

Juliette De Maeyer étudie de manière diachronique une pratique essentielle mais discrète du journalisme : le copier-coller. En lisant de près manuels de journalisme et mémoires de journalistes, elle montre comment l’histoire de cette technique est aussi celle d’une condamnation généralisée dans les discours professionnels. Cette archéologie lui permet aussi de repérer comment cette pratique qu’elle qualifie d’anodine se met en place à la faveur de genres « particulièrement accueillants » à l’instar de la revue de presse, dans les journaux des années 1940, comment elle devient une pratique pour jeunes journalistes mais aussi une « arme » croissante du secrétaire de rédaction (SR).

 

Les discours de « modernité » des albums anniversaires des médias, Florence Le Cam

Florence Le Cam aborde les imaginaires historiques de la technique dans le journalisme à travers l’analyse des photographies des espaces de travail, du XIXe à nos jours, recueillies dans les archives ainsi que dans les « albums anniversaire » publiés par les entreprises elles-mêmes. Florence Le Cam identifie ainsi deux grands types d’images : celles qui représentent l’entreprise de presse comme force productive et oeuvrent ainsi à la reconnaissance de son importance sociétale ; celles qui, mettant l’accent sur l’acquisition de matériel et sur l’innovation, véhiculent un discours de modernité qui renforce l’image professionnelle du processus de production. Ce corpus historique hétérogène, lui permet d’observer - en portant attention aussi bien aux lieux, aux outils qu’aux personnages qui les manient - comment la matérialité construit les routines journalistiques.

 

 

Jeudi Matin, 08/10/15

Session 2 : La place de la technique dans les discours sur le journalisme

Ce jeudi matin, les communications appréhendaient dans une approche sur le temps long la place de la technique dans les discours sur le journalisme. Les chercheurs montrent, dans différents moments et différents lieux, l’évolution des moyens techniques ainsi que leur acceptation et leur mise en place par les acteurs.

 

Sur les sites en ligne d’une agence de presse internationale : textes de langue anglaise de l’agence Reuters (vers 2000), Michael Palmer

Dans cette communication, Michael Palmer s’intéresse à l’américanisation de l’agence de presse internationale Reuters. Il regarde comment - entre la fin des années 1990 et la première moitié des années 2000 -, dans les commentaires en interne aujourd’hui numérisés du service des contrôleurs de la copie d’agence se joue un véritable rapport de force géopolitique et langagier. Entre un anglais britannique, un anglais américain et un anglais international, les mutations langagières dues à une technicisation et l’exigence d’une concision caractéristique de la dépêche, les traces de l’éphémère que sont les remarques et commentaires de ces contrôleurs des textes coproduits dévoilent les processus du journalisme agencier en train de se faire. Le chercheur montre comment, dans un contexte de forte concurrence internationale et de mondialisation, l’agence de presse aux origines britannique et allemande joue finalement le jeu de la domination des multinationales médiatiques nord-américaines ; jusqu’à son rachat en 2007 et la formation du groupe Thomson Reuters.

 

« La presse écrite est morte, nous allons les griller ! » Discours technicistes de journalistes locaux à l’épreuve de la généalogie des médias réunionnais, Bernard Idelson

Bernard Idelson propose, au travers du terrain particulier de la Réunion, d’observer un espace médiatique singulier d’un point de vue socio-historique. Partant d’une contextualisation géographique appuyée d’une approche ethnographique des rédactions de l’île, le chercheur repère des redondances discursives autour des thématiques de la technique et des nouvelles technologies. Aidé du recueil des différents discours d’escorte analysés dans le temps long, Bernard Idelson montre une actualisation des discours déterministes ou encore de ceux du renouveau à chaque percée d’une « nouvelle technologie ». La confrontation du discours et des pratiques montre l’écart qui peut s’opérer entre les imaginaires développés par une profession et les réalités sociales et techniques face auxquelles les acteurs doivent composer une fois la technologie installée. Cette tension entre le temps passé dans les rédactions et les entretiens avec les journalistes amène finalement à discuter de ce qui est conscientisé ou intégré dans les pratiques quotidiennes des journalistes.

 

Rapport des futurs journalistes aux procédures techniques, Aurélie Aubert, Veronika Zagyi et Jacques Guyot

Cette communication collective propose de réinterroger les résultats d’une recherche menée entre octobre 2013 et juin 2015 en Espagne, en France, en Roumanie et au Danemark dans le cadre du programme européen « Integrated Journalism in Europe ». Il s’agit ici de proposer une approche comparative des rapports de la technique à la profession et la professionnalisation. L’objectif est de rendre compte des manières dont les formations des futurs journalistes en Europe répondent au processus de la convergence technique dans leurs programmes. Autour de la présentation du corpus d’entretiens semi-directifs réalisés auprès de responsables, de chercheurs et d’intervenants – complétés par des observations en France au CFJ et en Espagne à l’Université Pompeu Fabra -, la définition d’un « journalisme intégré » se dessinent suivant les territoires où il est employé. Le travail des six équipes montre une perception très différente d’un journalisme « intégré » suivant les lieux mais constate que la polyvalence est globalement encouragée, de même que les propositions en termes parcours pour y accéder semblent s’uniformiser. Les formations s’orientent dans la plupart des cas vers une bi-qualification des journalistes plutôt qu’un apprentissage multi-support, à l’exception de l’école de Pompeu Fabra. De plus, les espaces d’apprentissage (les « newsroom ») restent cloisonnés en fonction des parcours bien qu’ils apparaissent moins refermés sur eux-mêmes.

 

Un formalisme au détriment du « fond » ? Les conceptions professionnelles de l’usage des techniques dans deux écoles de journalisme, Samuel Bouron

Samuel Bouron montre quant à lui comment deux écoles de journalisme aux Etats-Unis et en France proposent deux visions presque divergentes de la conception du journalisme professionnel. L’histoire des institutions, les trajectoires de leurs fondateurs, les contenus pédagogiques et les contextes intellectuels constituent ici des objet d’étude privilégiés pour comprendre quelles catégories de connaissances sont mobilisées au quotidien par les journalistes. Ainsi, le chercheur montre comment, dans un contexte de montée des sciences sociales en France, l’Écoles des Hautes Études Sociales va faire jonction entre le monde scientifique, politique et littéraire. Aussi, s’il y a chez l’ESJ Lille les volontés de moraliser la profession et d’évangélisation du monde laïque, une partie de l’ordre catholique qui la fonde s’est rangée du côté des républicains et se dote d’un réseau d’écrivains et de journalistes. Aux Etats-Unis, Columbia, héritage de Joseph Pulitzer, doit son succès à l’application des recettes de la presse populaire, dont la technique est une part essentielle ; alors qu’à l’École du Missouri, l’approche « sur le tas », dominante à l’époque, apparaît privilégiée. En s’opposant sur les modèles de formation principalement sur des questions techniques, la France va dans une certaine mesure favoriser un savoir théorique basé sur les sciences sociales tandis que les Etats-Unis auront tendance à accentuer la professionnalisation via les outils pour répondre aux demandes du marché.

 

Quand les centres de formation « vendent » le journalisme d’investigation avec la maîtrise de technologies intrusives. Étude comparative des discours de légitimation, Gilles Labarthe

Gilles Labarthe s’intéresse dans cette communication à la manière dont de nouvelles technologies telles que les caméras cachées et désormais les drones participent à la reconfiguration des questions identitaires des journalistes. Cette recherche exploratoire, basée sur des observations et des entretiens avec des journalistes de télévision, s’attarde en particulier sur les pratiques dites « déloyales », c’est-à-dire en contradiction directe avec les principes de base de la déontologie journalistique. Ce que fait ressortir le chercheur, ce sont les redéfinitions successives, par les outils les plus récents considérés non pas comme des outils « idéaux » mais « intrusifs », des formats médiatiques qui découlent de leur utilisation. Est également pointé le flou qui opère dans les centres de formation, pris entre la nécessité d’enseigner certaines techniques d’investigation et le devoir moral. Les technologies présentent de fait une assise à ces pratiques dites déloyales et permettent d’éviter la discussion de tactiques envisagées au cas par cas par les journalistes. Aussi, l’inclusion dans les formations d’acteurs privés, souvent périphériques à l’activité journalistes en tant que producteur de l’outil technique, pose la question des influences directes des champs voisins du journalisme sur le cœur de l’activité journalistique, notamment dans le rapport aux sources.

 

Jeudi après-midi, 08/10/15

Session 3 : Au cœur des recompositions médiatiques : enjeux économiques et organisationnels

Les trois communications de ce jeudi après-midi ont appréhendé les intrications entre la technique et le social dans la construction des dispositifs, amenant à des recompositions médiatiques. La reconfiguration des relations au sein du journalisme mais également entre les journalistes et d’autres champs prennent une place considérable.

 

Le photojournalisme à l’ère du numérique : innovations technologiques et reconfiguration des marchés au service photo de l’AFP, Valentina Grossi

Doctorante en sociologie à l’EHESS, Valentina Grossi s’intéresse dans cette communication au passage à l’ère numérique de l’Agence France Presse. L’enquête présentée est issue d’entretiens qui visent à reconstituer le cheminement des évolutions technologiques qui ont mené l’AFP et son service photo à introduire la technologie numérique à deux niveaux : celui de la prise de vue et celui de la transmission aux clients. En s’attardant sur les rapports de force autour de l’adoption du numérique au sein d’une même institution, mais également aux reconfigurations des temporalités médiatiques enclenchées par son adoption, Valentina Grossi offre un point de vue privilégié sur les relations entre social et technique ; ainsi que sur l’impossibilité de les penser séparément. L’accent mis par l’AFP sur la vitesse de transmission des photographies - habituellement réservée aux seuls quotidiens -, au détriment de la qualité nécessaire à la presse magazine va paradoxalement permettre à l’AFP de s’imposer dans un secteur réservé à Sigma, Cipa et Gamma. L’investissement dans la vitesse a finalement permis l’augmentation de la qualité.

 

Être « journaliste de voyage » à l’ère du numérique, Bryan Pirolli

Les mutations et transformations des pratiques des journalistes de voyage sont au cœur de cette communication. Bryan Pirolli, doctorant à l’Université Paris 3 Nouvelle-Sorbonne, se base sur des entretiens conduits avec des journalistes, blogueurs et commentateurs de TripAdvisor ; il regarde dans quelles mesures les journalistes (considérés comme professionnels), et les non-journalistes, sont influencés chacun par les pratiques de l’autre pour tenter de répondre à la question : qui est journaliste de voyage aujourd’hui ? Il s’attarde notamment sur les redéfinitions constantes et les adaptations que le corps journalistique enclenche ou subit et les réticences à l’utilisation de nouveaux objets numériques dans le cadre professionnel. Les tâches supplémentaires attribuées aux journalistes apparaissent ainsi soit refusées, soit ignorées, au détriment de pratiques décrites comme plus « traditionnelles ».

 

Ce que la critique fait à un dispositif socio-technique, Sylvain Parasie

Dans la dernière communication de cette seconde journée du colloque, Sylvain Parasie expose un dispositif socio-technique faisant l’objet de nombreuses critiques : celui des palmarès des College étatsunien du magazine US News. Objet souvent « délaissé » par la recherche, le palmarès fait partie selon le chercheur de ces outils qui offrent un espoir au journalisme en matière de neutralité et de mise à distance des reproches. Par l’algorithme, la technique et donc une certaine image de la scientificité, le journalisme développe un véritable genre dans la création de ce classement grâce à une équipe dédiée dans la rédaction d’US News et des techniques particulières. À mi-chemin entre le journalisme de donnée et de service, le chercheur montre comment les classements se sont imposés sans le consentement des écoles et ont reconfiguré le fonctionnement du système scolaire aux Etats-Unis. En décrivant de quelles manières le dispositif a évolué avec le temps au sein de la rédaction et ses relations avec les autres champs, Sylvain Parasie montre l’intrication entre social et technique cristalliser au sein de ce dispositif.

 

Vendredi matin, 09/10/15

Session 4 : Les compétences à l’épreuve des techniques

Ce vendredi ouvrait sur un ensemble de communications qui avaient en commun la valorisation du métier de journaliste par le biais des outils et de leur maîtrise. Là encore, l’acceptation et la mise en place des outils apparaissent privilégiées, avec un accent mis sur les mutations qu’ils entraînent dans la profession.

 

Jornalismo e técnica: a legitimação do repòrter multimìdia no Brasil, Ângelo Ribeiro (traduction de Denis Ruellan)

Cette première communication de la dernière journée du colloque, en portugais, analyse les processus de légitimation du journaliste multimédia au Brésil. L’outil technique est ici pris comme vecteur de spécialisation du professionnel capable de produire des contenus utilisables dans plusieurs médias. Le chercheur, ancien journaliste lui-même précurseur par l’adoption de certains outils au Brésil, retrace depuis la fin des années 1990 les relations instaurées non seulement entre les dirigeants des médias et ces journalistes multimédias, mais également avec les autres journalistes spécialisés sur un support. Sur un échantillon de 2731 journalistes brésiliens et dans le cadre d’un programme de recherche plus vaste débuté en 2011, Ângelo Ribeiro montre dans quelles mesures l’utilisation de technologies peut se révéler facteur de distinction. Aussi l’adoption de ces différents outils - qui tendent à généraliser le travail du journaliste devenu producteur multi-support -, s’accompagne le plus souvent par une augmentation des récompenses symboliques (reconnaissance sur les réseaux sociaux) et une baisse des récompenses financières. Enfin, si les programmes pédagogiques ont intégré dans leurs cursus l’apprentissage des différents outils pour le cas brésilien, une partie de la profession voit d’un mauvais œil cette concurrence polyvalente qui jouerait contre la profession en acceptant une moindre spécialisation.

 

 

Le rôle des applications de photographie pour téléphone mobile dans le photojournalisme : le corps du photojournaliste entre mobilité et exposition, Maxime Fabre

La communication de Maxime Fabre se donne pour objectif d’analyser de quelles manières la photographie mobile figure la place dédiée aux corps des photojournalistes dans le processus de production de l’actualité. Grâce à une méthode pluri-sémiotique mobilisée face à cet objet complexe, le caractère proprement tensif transparait entre information, photojournalisme et photographie mobile. Le cas de journalistes utilisant leur smartphone pour passer incognito dans une manifestation montre le passage de l’œil à la main du geste photographique, désormais éloigné du visage et permet d’envisager une sémiotique des pratiques prenant en compte les pertinences textuelles de la photo mobile. Dans une seconde partie, l’accent est mis sur les pratiques de circulation et les modes d’exposition de ces mêmes photographies. En s’attachant au rôle journalistique des applications de photographie pour téléphone mobile, le jeune chercheur dégage quatre effets des applications pour mobile : l’effet d’instantanéité produit par le dispositif, le gage d’authenticité créé par le peu de retouche dont font l’objet ces photos, la surprise du direct par le biais de la timeline et la co-présence énonciative, qui prescrivent ensemble des modalités de réception de l’actualité. En se dégageant de canons parfois encombrants, le photojournalisme s’accapare finalement les codes de la photographie mobile pour simuler de nouveaux effets de vérité.

 

La structuration du « live blogging » comme genre journalistique et configuration socio-technique propre au numérique, le cas du monde.fr, Nathalie Pignard-Cheynel et Brigitte Sebbah

Les résultats proposés dans cette communication se basent sur une observation au long-cours - dans la rédaction du journal Le Monde - de la mise en place de l’outil de live-blogging. Entre 2011 et 2014, Nathalie Pignard-Cheynel et Brigitte Sebbah, ont assisté à de nombreux « live », dispositif particulier qui existe avant tout par la médiation socio-technique du dispositif et permet la couverture d’événement « en temps réel » par une partie de la rédaction. Ainsi le live est appréhendé comme processus socio-technique, dans une dynamique d’interactions entre les acteurs et une production collective de sens condensées sur une page Web. Huit à neuf personnes sont ainsi mobilisées dans une salle dédiée pour la couverture d’événements de natures et de durées différentes. Les deux chercheuses axent cette recherche selon deux angles : le travail de conception de l’outil et les effets de rationalisation qu’il entraîne, ainsi que le travail de mise en place de l’outil dans une intégration à la fois technique et éditoriale. Elles montrent notamment que l’outil fait l’objet d’une faible appropriation dans l’ensemble de la rédaction et demande une grande agilité technique, puisqu’il met le journaliste face à une hétérogénéité d’outils informatiques. Dans un dernier temps, les deux chercheuses ont mis en avant les frustrations et les bidouillages opérés par les journalistes pour contourner certaines limites de l’outil.

 

Jornais impressos no Brasil: tempos de convergência e jornalismo popular, Ivanise Andrade

À partir d’une thèse en cours portant sur les violences impliquant des jeunes dans la presse brésilienne, Ivanise Andrade propose dans cette communication une étude comparative entre les lignes éditoriales de deux titres brésiliens du même groupe Globo. L’un, O’Globo, est considéré comme journal « de qualité » quand l’autre, Extra, est catégorisé comme faisant parti de la « presse populaire ». Globo, plus grand groupe de médias brésiliens propose dans la couverture d’un même fait divers par ces deux journaux deux constructions distinctes de l’actualité et figurent deux lectorats bien différents. Partant, la chercheuse propose d’étudier les tensions identitaires dans un même groupe de presse entre deux lignes éditoriales par l’analyse des deux Unes. Loin de se trouver dans un processus de convergence, observable dès lors que les journalistes multimédias d’un même groupe travaillent pour plusieurs titres ou lors de mutualisation des moyens, O’Globo et Extra apparaissent en synergie dans une certaine complémentarité. Même s’ils partagent des principes éditoriaux, parfois des contenus, des infrastructures et des méthodes de travail ; l’analyse d’Ivanise Andrade, menée dans une perspective qui fait suite au travail d’Eliseo Veron, démontre la construction d’identités distinctes entre ces deux titres, finalement dans le respect des contrats de communication établis avec leurs lecteurs.

 

 

Vendredi après-midi, 09/10/15

Session 5 : Les dispositifs numériques usés et subis du journalisme

Cette dernière session du colloque GIS Journalisme 2015 a conclu la manifestation par l’analyse des différents niveaux de rapport que les outils spécifiquement numériques entretiennent avec le journalisme, en particulier dans le travail de pédagogie, de mise en visibilité et de spécialisation.

 

Le journalisme débordé par les outils ou les outils dépassés du journalisme, Annelise Touboul

Au travers du cas d’une controverse autour du programme « ABCD de l’égalité », Annelise Touboul propose dans cette communication de revenir sur les manières de faire des journalistes dans une situation où ils ne sont plus producteurs de l’information. En janvier 2014, des rumeurs véhiculées par des réseaux d’extrême droite circulent, principalement par SMS, entre parents d’élèves sur le programme pédagogique mis en place par Najat Vallaud-Belkacem et Vincent Peillon. Les journalistes se trouvent rapidement pris de cours face au retrait par les parents des enfants à l’école. Ces derniers entament, après coup, un travail non seulement de pédagogie par la démonstration de bonnes pratiques journalistiques mais également de légitimation de leur propre discours. La déconstruction des discours produits durant les événements et l’inter-citation entre médias montrera une voie homogène du corps journalistique. Ces derniers pointent du doigt le caractère interpersonnel des outils de mobilisation utilisés pour propager la rumeur et la stratégie de court-circuit utilisée par les réseaux la diffusant.

 

Usages de Twitter et (in)visibilité de l’identité numérique professionnelle des journalistes, Florence Van Hove, Bruno Asdourian, Dominique Bourgeois

Florence Van Hove a présenté les résultats à mi-parcours d’une étude menée collectivement avec Bruno Asdourian et Dominique Bourgeois sur les démonstrations d’identité faites par les journalistes sur le réseau social Twitter. Les chercheurs partent ainsi du principe qu’avec certains outils comme les réseaux les sociaux, les frontières entre les discours publics et les discours privés deviennent plus compliquées à établir. Ils regardent entre autres une ambiguïté dans les usages de Twitter et s’attèlent pour cela à analyser 30 profils de journalistes francophones répartis équitablement autour de deux postures repérées au préalable : le journaliste engagé et le journaliste désengagé. Le premier affiche sa profession ainsi que sa dimension « corporate » quand le deuxième affiche sa profession mais indique que ses tweets sont personnels. Ceci sera doublé d’une analyse qualitative sur les 100 derniers tweets publiés par les 30 journalistes retenus pour montrer que si les postures divergent, tous les journalistes diffusent tous les types de message sur leur compte.

 

Le goût des datajournalistes : une « présence au monde » teintée de journalisme et d’informatique, Olivier Trédan

La dernière communication de l’édition 2015 du GIS Journalisme porte sur le groupe restreint des datajournalistes français : seulement une trentaine de journalistes en France revendiquent ce « label » pourtant prisé par les rédactions. Ils forment selon le chercheur un « collège informel » par la maîtrise commune d’outils techniques et leur circulation rapide dans diverses rédactions nationales. Ainsi la connaissance et la maîtrise du code en informatique servent là aussi de vecteur de légitimation pour ce groupe qu’Olivier Trédan a choisi d’aborder sous l’angle du goût, c’est-à-dire d’attachement à la pratique. Ils s’attachent donc à la manière dont les datajournalistes sont engagés dans leurs pratiques, le rapport aux objets, le rapport au collectif ainsi que le rapport à l’objet lui-même. Cela permet notamment de ne regarder les pratiques amateurs pas uniquement comme opposition aux pratiques professionnelles mais comme forme d’attachement. Le site OWNI, aujourd’hui arrêté, semble avoir été l’enclenchement en France de ces pratiques et de la création de ce microcosme professionnel, bien qu’aujourd’hui, une quantité plus importante de journaliste passe par le « bidouillage » de bout de code pour bricoler des contenus mobilisant des données.

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