La septième séance du séminaire initié début 2014 par Jean-Baptiste Legavre (CARISM) autour de la thématique « Le Web dans les rédactions : 20 ans après ? Processus, appropriations, résistances » a eu lieu mercredi 17 décembre à l’université Panthéon-Assas. Au programme de cette dernière séance annuelle, Valérie Jeanne-Perrier (GRIPIC) a présenté les résultats de plusieurs travaux, observations, entretiens, réflexions et des pistes de recherche envisagées dans une présentation intitulée « Médiatiser les trajectoires professionnelles des acteurs des médias : quelles stratégies communicantes pour les journalistes ? ».
Cette séance a été l’occasion de s’attarder sur le dispositif Twitter. La professeure regarde, à travers ce dernier, les effets de l’appropriation des réseaux sociaux – extérieurs aux rédactions – sur la médiatisation des trajectoires journalistiques par les journalistes eux-mêmes. En somme, comment l’individu en maîtrise de son image sur Internet se redéfinit au sein d’un collectif rédactionnel en mutation.
Valérie Jeanne-Perrier a pour volonté de démontrer le caractère profondément interdépendant de la structure des outils d’édition et de publication, des postures d’énonciation à l’extérieur des rédactions et de l’activité même de journaliste. Ce caractère permet de mettre en évidence comment de nouvelles modalités de professionnalisation sont associées à des postures énonciatives inédites dans les médias dits traditionnels : une double posture d’informateur et de communicant, de médiatisation, de médiation de son activité professionnelle. En cela, les statuts interne et externe du journaliste sont modifiés : faire du journalisme dans ces conditions implique des savoir-être, des savoir-faire autour de la maîtrise et la gestion d’un portfolio identitaire lié à la maîtrise de technologies informatiques. De nouvelles gammes de compétence se dessineraient dès lors pour les métiers de l'information.
Elle souligne, dans la présentation, l’accompagnement de ces mutations par un discours d’escorte très présent, prenant notamment l’exemple du discours syndical ou celui du journal Libération, qui titrait en pleine page « Nous sommes un journal » en 2013. Cette Une, marquante, affiche un refus par le collectif rédactionnel de la notion de réseau social en définissant le journal par la négative. Elle est mise en balance avec un autre numéro sorti six mois plus tôt dans lequel Libération faisait l’effort de montrer l’intégration des dispositifs sociaux numériques tout au long du journal. La chercheuse démontre par ces exemples empreints de paradoxes les réticences, parfois les résistances aux processus complexes qui se jouent autour du métier de journaliste et qui le transforment, métamorphosant en cela la manière de fabriquer l’information.
Valérie Jeanne-Perrier défend l’hypothèse selon laquelle une part importante du métier de journaliste consiste aujourd’hui à s’ajuster à des dispositifs pour co-produire des formes, et que ces dispositifs participent à une nouvelle gamme de compétence. Les professionnels seraient, dans ce contexte, en train de se définir dans les cadres offerts par ces dispositifs au travers de ce qu’elle appelle des « bricolages identitaires » qui impliquent un possible « professionnalisme du net », en référence à l’expression « professionnalisme du flou » employée par Denis Ruellan dans Le journalisme ou le professionnalisme du flou, identité et savoir-faire des journalistes français, paru en 1993 aux Presses universitaires de Grenoble.
Ainsi, nous assistons à une montée en puissance de l’intérêt de maîtriser son image individuelle. Les journalistes font jouer leur notoriété acquise grâce aux dispositifs tels que Twitter et transforment les relations au sein des rédactions en révélant une sorte d’injonction à montrer que cette compétence de savoir-être et de savoir-faire fait partie de l’identité professionnelle. Cependant, Valérie Jeanne-Perrier note que les dispositifs extérieurs à la rédaction s’institutionnalisant, les discussions des journalistes en leur sein – notamment sur l’éthique professionnelle entre journalistes – reculent, laissant place à une deuxième étape qui reste encore à identifier.
L’affichage de l’identité journalistique devient un outil de communication à la fois pour chacun des journalistes, pour les collectifs rédactionnels et pour chaque média. Valérie Jeanne-Perrier aperçoit des transformations venant de l’extérieur des rédactions sous forme d’« innovations ordinaires » qui, quand elles deviennent trop prégnantes et mettent en danger une identité traditionnelle, rencontrent des réticences.