LE LABORATOIRE DE RECHERCHE EN SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION DU CELSA
UR 1498
Communication avec actes

Structures idéationnelles et figures de la norme onusienne

Communiquer dans un monde de normes. L’information et la communication dans les enjeux contemporains de la « mondialisation », en ligne, 2012, p. 136-139

Résumé :

Ces derniers temps, un certain nombre de phénomènes politiques convergents invitent les recherches en SIC et celles en science politique à interagir plus explicitement. Après une Assemblée générale de l'ONU particulièrement médiatisée, en septembre 2011, une telle approche est pertinente. A ce jour, on ne trouve nulle trace, dans la recherche académique, d'une approche communicationnelle véritable révélant toute ses dimensions au phénomène complexe des organisations internationales. Or, une organisation telle que l'ONU fournit un socle permettant d'interroger des objets frontières comme l'autorité et les nouveaux dispositifs de discussion, de décision et de légitimation politiques. Guillaume Devin y voit le point de rencontre entre des conduites coopératives plus ou moins complexes, et disposant d'une autorité et d'un pouvoir de contrainte de plus en plus indéniables. Le processus d'institutionnalisation dont il s'agit s'appuie sur trois types de ressources: non seulement juridiques et fonctionnelles, mais aussi symboliques. C'est l'interdépendance dans laquelle fonctionnent ces trois dimensions qui nous intéresse ici, et plus spécifiquement la part des processus communicationnels dans la consolidation et la perpétuation de la norme onusienne. L'objectif de cette contribution est modeste et interroge les conditions d'analyse de la communication des organisations internationales. Prenant appui sur les analyses de l’école de l’internationalisme libéral et sur l’approche constructiviste en relations internationales, elle interroge leur vocation à révéler leur potentiel analytique en dialoguant avec les SIC, notamment la théorie de l’agir communicationnel et les phénomènes rhétoriques et discursifs.  

Une construction multilatérale de l’universalisme appuyée sur des ressources procédurales et des valeurs :

La consécration du multilatéralisme au lendemain du drame de la Seconde Guerre mondiale a reposé sur deux présupposés. Premièrement, il constitue un discours spécifique sur des valeurs présumées universelles et indivisibles, et toutes liées à l'humanité. Cet apport essentiel au processus de civilisation des relations internationales s’appuie sur un jugement qui est donc très normatif. Ensuite, il repose sur un jeu itératif, c'est-à-dire continu et répété selon des procédures de décision, implicites ou explicites, et des rituels. Concrétisé dans des organes juridiquement habilités, le multilatéralisme, comme méthode, introduit entre les participants une norme de comportement faite de réciprocité diffuse qui est un facteur possible de réassurance, mais surtout contribue à la mise en œuvre d’une certaine diplomatie. Certes, le formalisme procédural l'emporte souvent sur la rationalité substantielle, voire l’efficacité des décisions prises à l’ONU. Mais en tant que diffuseurs de normes et lieux d'apprentissage, l'organisation et sa bureaucratie établissent des espaces de sens au sein desquels les Etats ont intérêt à s’inscrire.  Cet « agir communicationnel », ancré spontanément dans le langage et le discours, coordonne leurs interactions de façon à ce qu’ils interprètent ensemble la situation et tendent à s'accorder sur la conduite à tenir.

Appréhendée via les SIC, la construction de cette intentionnalité collective onusienne  défie donc les paradigmes de l’école réaliste en relations internationales : les organisations internationales se donnent bien comme des agents d’euphémisation de la violence très sous estimés par la recherche, et pas seulement comme de simples agents d’intérêts.

La parole onusienne : vers une figure de la légitimité à agir et à régir  

La légitimation de l’ONU dépend à terme des modalités concrètes d'établissement, parmi ses publics externes, d’une croyance partagée dans ce qui est  juste et  donc souhaitable. C'est-à-dire de sa capacité à produire une parole et un discours performants et signifiants à leur attention. Première « parole » onusienne, la Charte de San Francisco d’avril 1945 fournit un genre rhétorique à part entière, en ce qu’elle associe des critères pragmatiques et rhétoriques à une fonction institutionnelle cruciale (instituer l’organisation). En outre, dans la mesure où cette charte entendait fonder un nouveau monde commun, elle a acquis une seconde fonction pour les locuteurs, non plus rhétorique mais cette fois en se donnant comme une matrice susceptible de fournir un ensemble de référentiels à partir desquels s’est construit un ensemble spécifiques de débats dans l’arène internationale.

L’étude de la communication de l’ONU fournit également quelques indices solides concernant les modalités de sa construction identitaire. Cette fonction communication ayant pour mission de consolider l'organisation en tant qu'équipe de représentation, la tentation de la posture méta-discursive est y fréquente. Même si la parole onusienne oscille en permanence entre production de savoirs et opérationnalité sur le terrain, ces textes, dans leur visée morale et politique,  s’appréhendent en tant que gestes rhétoriques, interactionnels et communicationnels. L’action politique de l’ONU ne peut donc être déconnectée de sa matrice rhétorique, et donc communicationnelle. L’éthique du consensus qui l’anime se donne paradoxalement comme un moteur de sa légitimité non seulement à agir, mais aussi à régir.

L'ONU comme sujet et instigateur d'un ordre et d’une norme spécifiques :

L'ONU se conçoit enfin comme l’instigateur d’un ordre et d’une norme spécifiques par l'appropriation de ses productions normatives et cognitives dans l’espace public. Elle nourrit en effet la circulation et la promotion de mots clefs (« sécurité humaine », « « biens publics mondiaux », « maintien de la paix »…) qui engagent certaines représentations du monde. Autant de normes qui tout en orientant les débats diplomatiques, imprègnent de plus en plus leur médiatisation.

La référence aux droits de l’Homme fournit un exemple éclairant de ce processus de civilisation des relations internationales. Dès le texte de la Charte de San Francisco et dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme votée en décembre 1948, ces droits sont consacrés dans leur dimension à la fois morale et juridique. Si la contribution de l'ONU à « juridiciser » les relations internationales est bien connue des politistes, la communicabilité de cette dynamique est questionnée par les SIC.

Ce recentrage sur les individus consacre le fait que la souveraineté des Etats n’est plus sans limites. Erigés en coordonnée de la paix à part entière et source de représentations perçues de plus en plus comme légitimes, les droits de l’Homme nourrissent une activité normative qui entend inscrire l'ONU dans le temps long. Ici, les valeurs onusiennes nourrissent donc l’expression rhétorique d’une vision de l’humanité et se stabilisent dans certains « textes » qui ont aussi pour fonction d’en garantir l’autorité morale. Enfin, chacune de ces pratiques discursives pose aussi la question de l’usage dont elles font l’objet.  Ce qui, en ce début de XXIème siècle, soulève la question du statut et de la fonction de l’universalité elle-même, non seulement pour les institutions qui la promeuvent, mais dans la société contemporaine toute entière.

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